Il avait arrêté de compter les jours...
Jamais il ne s'était senti si proche de l'épuisement et du désespoir, jamais il n'avait connu une telle perte.
Sa terre d'adoption avait été ravagée par les démons et à présent des étrangers s'en disputaient les restes tels des chiens se disputant une carcasse.
Et, surtout, Elle avait péri en tentant ce qu'aucun de ces soi-disant héros n'avaient alors osé tenter...
Bien sûr, il avait essayé de préserver Son essence, de La transférer dans un autre corps, mais cela n'avait conduit qu'à un cuisant échec de plus...
La chose qui avait autrefois été Enora ne fut consciente que le temps de pousser un long et déchirant hurlement avant de retomber dans la torpeur.
Mais il ne pouvait se résoudre à L'abandonner...
Ses faibles pouvoirs lui permirent de se constituer une escorte grotesque et titubante qui se vit confier le cercueil où Elle reposait, et, faute d'un meilleur choix, il se dirigea vers le nord.
Et il en était là, perdu dans ces contrées marêcageuses, ayant réussi, sans comprendre comment, à éviter les seuls habitants de cette contrée maudite...
Et une fois de plus, les limites de son corps imparfait lui imposaient de s'arrêter.
Perdus dans ses sombres réflexions, il mit un certains temps à percevoir les sons qui se rapprochaient.
Des Trolls, sans doute, s'avançant dans la brume pour le dévorer... Cela n'avait plus aucune importance, sa vie n'avait plus d'importance... La mort serait presque la bienvenue.
Mais quelque chose n'allait pas... Ce n'étaient pas des Trolls qui poussaient ces grognements, ce n'étaient pas leurs pas dans la boue qui produisaient ces grincements metalliques.
Etait-il en train de perdre la raison? La dernière fois qu'il avait entendu de tels sons, c'étaient juste avant la bataille qui La conduisit à Sa perte... Ces sons étaient ceux de Son armée en marche.
Il percevait à présent autour de lui des silhouettes humanoïdes déformées par la brume. Leurs mouvements étaient lents et saccadés comme... Non, ce n'était pas possible!
Et pourtant, cela semblait tellement réel, ces silhouettes dans la brume, ces sons, ces odeurs... Il voulait tellement que cela fut réel!
Il y eut ensuite l'effleurement d'une main sur son épaule, léger comme une plume... Un souffle presque imperceptible sur sa nuque... Et, enfin, il y eut ce qui lui fit perdre conscience, ces mots murmurés à son oreille : "T'ai-je manqué, Piotr?"
Un vague sourire flottant sur ses lèvre pâles, Enora observa un instant le jeune homme gisant dans la boue, puis son regard se perdit au loin, vers le nord...
"Reprends des forces, mon fidèle esclave, bientôt nous devrons à nouveau combattre."